LA POESIE D'ANTOINE CARROT
Nocturne
Librairie-Galerie Racine, 2005
NOTES DE LECTURE
Nocturne pourrait être une méditation que l'on mène au terme d'une vie quand on contemple le temps écoulé et qu'affleure l'interrogation existentielle : qu'est qu'une vie ? ...
La poésie d'Antoine Carrot se situe dans cette interrogation paradoxale, à ce carrefour crépusculaire entre l'acceptation : "Il y a des escaliers Sans conviction par habitude Pour s'éloigner de la mer Pour prendre une autre dimension Voulue presque humaine VERTICALE et le refus : Sous le sel des victoires germent nos parenthèses ou : Je me tiens sur la distance".
Anne-Lise Blanchard, extrait de la préface
Attentif à toutes les propositions de la nature apportées par le vent et le sel, le soleil et les saisons, le jour et la nuit, Antoine Carrot a toujours médité sur les réponses que tentent de donner les hommes. Et ces réponses ne sont que de nouvelles propositions : villages, horloges, moissons, jardins... Mais d'autres travaux et d'autres lieux se présentent à celui qui affronte, dans le silence, les questions nocturnes : " l'attente crépusculaire ouvre un verger / Dont les fruits ne sont pas connus d'avance". En découvrant cet enclos, en goûtant ses fruits, n'entendait-il pas, mêlée à cette voix inquiète, celle de Rainer Maria Rilke s'exclamant : ' O verger, ô mon frère / Un même vent, nous venant de loin / nous force d'être tendres et austères? '.
Marie-Ange Sebasti, Laudes
La démarche d'Antoine Carrot évoque l'observation d'un paysage, d'un village pour en extraire la certitude d'un poème. L'expression qu'il utilise, c'est la fécondation du mot par un éclatement de soleil. Je cite : « il faudrait protéger le point et la virgule / Établir un équilibre définitif / Des projets de bourgeons s'ouvrent / Des acquisitions de rêves prospèrent / Et les fourmis montent une longue pente. // D'une somme algébrique où nos humeurs proposent / Des passions de soleil vains / Pourrait naître une porte claire / Où nos ombres se détacheraient. // Pourrait naître aussi un fruit de soie/ Où des brumes déchirées / Crisseraient sous un pas de neige / Avec un printemps autour des branches. Dés qu'il y interrogation, le doute surgit : « Je t'interroge / Des tromperies de miroir me répondent. // Une envie de neige ou de chien / Foetus d'un sommeil protecteur / Oubli de soi-même éparpillé / Sur les étincelles d'un feu comme un sursis. (...) Je conclus sur ce texte comme j'ai commencé. Le poème institue le réel. Alain Wexler, Verso
EXTRAITS
Victime ou victoire
deux mots-dérobade
A la limite extrême où se produit l'étincelle
Préservées par leur propre fragilité
Défense ultime des saisons passées
Des horizons de feuilles mortes crépitent
Sous le râteau des fins d'automne.
Nocturne, p.8
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Nocturne
Ainsi la nuit se présente
Musicale et simplifiée
Sur les pas réservés qui viennent de la colline.
D'une dépense
Où la source apparaît comme un profit
D'un murmure prononcé
Conservé par prudence à l'intérieur des choses.
Fuite-espace où se retrouvent
les veines du temps marquées en rouge
Nocturne étoffe à peine glissée sous le doigt
Que déchire un bruit de lune.
Nocturne, p.21
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Plaine où des oiseaux picorent le grain du sang
Dans la dépendance des mots
Puissant feu d'artifice erreur de langage
Parfois un silence à l'envers d'un cri.
Qui se referme sur lui-même
Etincelle de nuit sur la parodie de nos ombres
Dénonçant un espoir ou posant la question
répétitive comme une eau de source.
Pourquoi la nuit donne-moi ta réponse
Trouve un balancier pour mon hasard
Une écriture aux prouesses absentes
Produit le songe aux petites heures du matin
Avec un levain d'images et de vent.
Je suis l'enfant encore et définitivement
Qui pourrait pleurer s'il n'avait plus de larmes
Dont la main comme une remontrance
S'accroche aux ronces d'un vieux mur.
Oiseau blessé
Où le feu par mille précautions
Repousse vers des lendemains incertains
La nostalgie des heures bleues.
Nocturne, p.50